La première affaire de real-TV en France est déjà
une affaire juteuse :
A qui profite Loft Story ?
M6 n'est pas la seule à tirer parti du succès d'audience
de sa nouvelle émission vedette. La presse écrite, les
autres chaînes de télévision, les annonceurs ainsi
que certains prestataires en bénéficient aussi.
La diffusion de Loft Story, lundi 21mai, face au Bigdil, sonne pour
M6 comme la phase2 d'un plan anti-TF1. Pour cette première à
19heures, l'ex-petite chaîne qui monte s'est inclinée avec
36% de part d'audience contre 38% pour la Une. À la clôture
de la Bourse de Paris, ce même lundi, le cours de l'action M6
se stabilisait à 31,8euros, après avoir été
dopé avant le lancement de l'émission (il était
de 27,7euros le 24avril et de 31,65euros deux jours plus tard). Parallèlement,
l'action TF1 n'a cessé de perdre du terrain, passant de 44,9euros
le 26avril à 40,6euros le 21mai. De son adaptation de Big Brother,
dont le coût est estimé à 100millions de francs,
M6 tire bien sûr de multiples profits. Mais la Bourse n'est qu'un
des aspects d'une industrie du "loft profit" qui compte de
nombreux bénéficiaires.
M6.
Jeudi 17 mai, ils étaient 7,7millions de téléspectateurs
à suivre la soirée qui décida de l'élimination
d'un candidat. À cette occasion, M6 a réalisé quelque
49,4% de part d'audience sur les ménagères de moins de
50ans, la cible privilégiée des annonceurs. Soit à
peu près autant que la semaine précédente. Sur
ses trois écrans de coupure, M6 a fait le plein avec six minutes
ininterrompues de spots. D'ores et déjà, la régie
publicitaire de la chaîne peut faire ses comptes: selon Sécodip,
M6 voit ses recettes brutes progresser de 4,2% sur les deux premières
semaines de mai alors que le marché de la télévision
est en baisse de 10,3%. "M6 totalise 260,2millions de francs sur
cette période contre 249,5millions en 2000, souligne Martine
Collet, directrice de la gestion commerciale de M6. Si on estime que
la chaîne serait au niveau du marché sans Loft Story, le
gain peut donc être estimé à 35millions de francs
de recettes brutes en deux semaines." Mais, selon elle, le succès
commercial de Loft Story se mesure surtout à la hausse des tarifs
de publicité. Depuis le 21mai, l'écran de coupure de Loft
Story (aujourd'hui à 19h30) a été multiplié
par 2,75, à 230000francs. Aux recettes publicitaires, il faudra
ajouter les gains liés à la commercialisation de produits
dérivés, dont M6 Interactions partagera les revenus à
50/50 avec ASP-Endemol, le producteur de l'émission. Mi-juin
doit sortir un Loft Story Magazine, hors-série tiré à
200000exemplaires et vendu 20francs. À la même période
sont attendues deux vidéos sur les coulisses, le casting, l'arrivée
dans le loft, les temps forts des épisodes, vendues 128,50francs
pièce. Par ailleurs, un CD Loft Story, une compilation avec la
musique du générique, est proposé pour 117francs,
tandis qu'un livre, Loft Story, les dessous de l'émission, vendu
93,10F et signé Benjamin Castaldi, le présentateur de
Loft Story, est attendu aux éditions Mango Pratique Fontaine,
le 11juin prochain. "Nous recevons beaucoup de demandes de licensing,
mais nous serons sélectifs", indique-t-on chez M6.
Ses programmes
Loft Story sert de produit d'appel. aux émissions de M6. Exemple:
Buffy contre les vampires, série diffusée en semaine à
18h10, est passée de 13% à 16,4% de part d'audience sur
les 4ans et plus. Morning Live bénéficie également
de "l'effet Loft Story". La part d'audience continue de progresser
sur les cibles jeunes (+24% sur les femmes de 15-34ans, +18% sur les
ménagères de moins de 50ans et +14% sur les 15-49ans).
La nouvelle collection de téléfilms Carnets d'ados fait
mouche aussi. Le premier téléfilm diffusé le 9mai
a réuni 3,2millions de téléspectateurs et enregistré
22,1% de part d'audience auprès des 15-24ans et 23,1% auprès
des ménagères de moins de 50ans. Diffusé le 16mai,
le second film a fait mieux encore: 3,3millions de téléspectateurs,
23,2% de part d'audience sur les 15-34ans, 28,8% sur les 15-24ans et
24,9% de part d'audience sur les ménagères de moins de
50ans.
Les autres chaînes
Loft Story, c'est aussi une bonne affaire pour les émissions
qui, sur les autres chaînes, traitent le sujet, selon Initiative
Media. Arrêt sur images, sur la Cinquième, enregistre une
audience en hausse de 43% par rapport au mois d'avril. Grâce à
Loft Story, l'émission rajeunit aussi et féminise notablement
son audience (+44% sur les femmes 15-34ans et +43% sur les 15-49ans).
Autre bénéficiaire: Marc-Olivier Fogiel. Depuis le 4mai,
On ne peut pas plaire à tout le monde, sur France3, dépasse
30% de part d'audience sur toutes les cibles. Plus de zapping, sur Canal+,
affiche des audiences en forte progression, particulièrement
sur les femmes. Les anti-Loft Story ne sont pas moins bien servis: Ça
s'en va et ça revient, de Thierry Ardisson, sur France2, progresse
de 35% sur les CSP+. Au-delà, Loft Story semble profiter aussi
à l'écoute globale de la télévision. Depuis
le 26avril, elle a progressé de 11% par rapport aux trois mêmes
semaines de l'année précédente.
TPS
Pour TPS, dont M6 détient 25%, Loft Story est aussi une bonne
affaire. Le canal27 du bouquet satellite, qui diffuse l'émission
en continu depuis le 26avril, a déjà enregistré
110000abonnements, dont quelque 3000 sont des nouveaux abonnés
de TPS. Difficile toutefois de savoir si Loft Story a réellement
servi de déclencheur à cet abonnement. À raison
de 70francs forfaitaires pour le canal27, TPS a en tout cas déjà
récolté quelque 7millions de francs. On est très
loin des prévisions du bouquet, qui estimait avant le lancement
que 10000abonnements suffiraient à amortir le coût du canal
dédié et celui de l'exploitation satellite. CanalSatellite,
qui s'était dit prêt à accueillir Loft Story en
cas de refus de TPS, aurait repris les discussions avec ASP-Endemol,
et pourrait à son tour diffuser le jeu.
Endemol
Avec Loft Story, Endemol Production a réussi un joli coup, même
si son contrat avec M6 et la reprise en exclusivité sur TPS restent
secrets. La société récupère 50% des recettes
de la vente des produits dérivés et gagne en notoriété
en France. Le groupe néerlandais, premier producteur européen
de divertissement avec ses 435millions d'euros de chiffre d'affaires
et ses 10000heures de programmes dans dix-sept pays, est loin d'en être
à son coup d'essai, notamment grâce à son format
phare, le fameux Big Brother. Aujourd'hui, avec Loft Story, sa filiale
française créée en septembre dernier remporte un
succès fracassant. Avec une dizaine de sociétés
et un chiffre d'affaires prévu de 800millions de francs, Endemol
France devrait rafler cette année à Expand-Ellipse la
tête du classement français des producteurs de divertissement.
Racheté en juillet dernier par le géant espagnol Telefonica,
Endemol intéresserait désormais, selon la rumeur, RTL
Group.
La presse écrite
"Loft Story: ça chauffe" (Voici), "Loft Story:
la France s'enflamme" (VSD), "Génération Aziz"
(Paris Match) mais aussi "Tout ce que vous auriez voulu ne pas
savoir sur Loft Story" (Télérama). Les couvertures
des magazines donnent la mesure du phénomène. Les quotidiens
ne sont pas en reste. Les éditeurs auraient tort de se priver:
les ventes bondissent presque systématiquement. Le 3mai, Libération
titre en une: "Fenêtre sur loft", et les ventes progressent
de 14,2% sur Paris Diffusion Presse. Le 12mai, il récidive avec
"Un loft dans le PAF" et gagne là encore 14,8%. Les
deux numéros ont généré chacun 15000ventes
supplémentaires, soit près de 150000francs de recettes
de diffusion supplémentaires pour l'éditeur. Idem pour
Le Monde dont les unes datées des 4 et 12mai ont entraîné
un surplus de ventes de 15%. Même Le Figaro, avec sa une datée
du 10mai, bondit de quelque 10% par rapport à la semaine précédente.
Les deux précurseurs se frottent les mains. L'Express du 3mai
a engendré une progression de 4,7% par rapport au même
numéro de l'année 2000. Et VSD, avec sa première
couverture dédiée à l'émission, affiche,
lui, quelque +10% par rapport à la moyenne de ses unes. Mais
les éditeurs ne sont pas les seuls à profiter de cette
manne substancielle: les diffuseurs touchent en moyenne 17,5% du prix
de vente des publications.
Les radios jeunes
Y aura-t-il un effet Loft Story sur l'audience des radios jeunes? L'émission
est devenue incontournable sur Skyrock, Fun Radio et NRJ. Telles des
stars, d'anciens pensionnaires du loft et des amis de ceux qui y sont
encore se relayent aux micros des stations. Skyrock organise des débats
et alimente son site Web de dialogues, d'images et de rumeurs. "Skyrock
a été une caisse de résonance plus qu'un relais
pour Loft Story, estime son président, Pierre Bellanger. Il existe
une relation symbiotique entre l'antenne et les auditeurs." Fun
Radio, qui appartient à RTL Group, actionnaire de M6, a opté
pour le style "radio officielle" avec point horaire, débats
et. Kenza, une ancienne pensionnaire du loft et une toute nouvelle animatrice
de la station. Comme ses consours, NRJ consacre au loft son programme
du soir, My NRJ. Selon la radio, les appels téléphoniques
des auditeurs ont quasiment doublé durant cette émission.
France Télécom
L'opérateur télécoms le reconnaît sans ambages:
"Loft Story est une bonne affaire!" Première source
de revenus: le vote pour éliminer les candidats. Le numéro
surtaxé (08 36) a permis à France Télécom
de dégager environ 8millions de francs de recettes pour les deux
premiers votes (et il en reste sept.). Sur les 3,68francs par appel,
l'opérateur reverse 2,79francs HT à M6 et prélève
56,54francs par heure de communications cumulées (39,55francs
pour les appels provenant de l'Île-de-France). Le vote par message
SMS, facturé 1franc, tomberait quant à lui entièrement
dans l'escarcelle des opérateurs. C'est le cas pour France Télécom.
Quant à SFR et Bouygues Telecom, ils se refusent à donner
plus d'informations. Le service d'écoute téléphonique
du loft est tout aussi rémunérateur: le numéro
coûte 2,21francs la minute aux usagers et France Télécom
facture à la chaîne 54,54francs par heure (71,86francs
pour l'Île-de-France). Wanadoo, filiale Internet de France Télécom,
n'est pas en reste. Son portail Voilà, qui sponsorise l'émission,
affirme avoir gagné 7points supplémentaires en notoriété.
Son audience s'envole: la rubrique spéciale consacrée
à Loft Story affiche de 60000 à 80000pages vues par jour,
soit deux à trois fois plus qu'une rubrique moyenne.
Les annonceurs
Le succès d'audience de l'émission a dépassé
les prévisions les plus optimistes, à commencer par celles
de M6 Publicité, la régie de la chaîne. Avec des
audiences au sommet et des tarifs (au début) sous-évalués,
les écrans de Loft Story ont offert des performances économiques
exceptionnelles: plus de 60% moins chers en coût du GRP pour ceux
programmés dans la diffusion quotidienne de 18h25 par rapport
à ceux des autres chaînes au même moment, sur des
cibles publicitaires standards comme les ménagères de
moins de 50ans, les 15-24ans et même les CSP+. Le jeudi soir,
les performances sont quasiment identiques. Les annonceurs ayant "osé"
Loft Story dès le départ ont donc réalisé
une bonne affaire. Les autres doivent désormais supporter les
hausses de tarifs de M6.
Ikea
Chez Ikea, le "fournisseur officiel" en mobilier, on est plutôt
discret. Dans les magasins, aucun signe particulier pour mettre en avant
les meubles qui équipent le loft. Pour trouver le canapé
Loft Story, il faut s'adresser aux vendeurs. "On nous le demande
beaucoup, confie l'un d'eux. Il se vend bien, comme les autres éléments
d'ailleurs." Ikea précise qu'il est encore trop tôt
pour dresser un bilan des ventes. La firme suédoise collabore
avec les Big Brother italien, espagnol et anglais. Mais elle a interdiction
de communiquer sur le sujet, comme toutes les sociétés
collaborant avec la production de Loft Story. C'est le cas de Piscinelle,
leader européen de la piscine en structure en bois. "La
société a gagné de la notoriété,
estime Alain Dujardin, son directeur commercial. Nous recevons des appels
téléphoniques de personnes ayant fait l'effort de chercher
nos coordonnées. Quant à nos clients actuels, ils sont
très fiers de posséder la piscine du loft."
Les candidats
Luxueuse décapotable avec chauffeur, meute de photographes et
de fans. En quelques jours, les "lofteurs" sont devenus des
vedettes. Mais les clauses du contrat qui les lient à ASP Production
sont contraignantes. Les droits sur les images et les produits dérivés
sont sévèrement encadrés: "Le participant
confie irrévocablement un mandat exclusif à l'agent artistique
qui lui sera désigné par ASP Productions [Intertalent]
pour gérer et négocier pour son compte sa carrière
artistique, publicitaire, médiatique et de mannequinat (.)."
Là-dessus, les participants toucheront entre 20 et 50% de la
rémunération, selon son montant. Ils peuvent aussi compter
sur une séance photos pour Sipa qui leur rapportera 50000francs
chacun. La publicité pourrait néanmoins s'ouvrir plus
généreusement aux "lofteurs". "Ils bénéficient
d'une telle notoriété que l'on ne voit pas comment ils
ne pourraient pas être exploités par la publicité",
souligne Pascal Grégoire, président de Leagas Delaney
Paris Centre. Willy Huret, vice-président de Challenger House,
estime lui que "c'est le groupe qui est fort." "Individuellement
ils ne fonctionneront pas. Il faut reprendre le concept du groupe."
Le fisc
Si l'État n'est évidemment pas intéressé
à la promotion de Loft Story, il en bénéficie de
façon mécanique grâce à la TVA. Il prend
ainsi 19,6% sur le CD de compilation, 5,5% sur le livre de Benjamin
Castaldi, 2,1% sur tous les journaux qui se vendent et. 20,6% sur les
"locaux affectés à usage professionnel". À
moins qu'il ne s'agisse de 5,5%, taux en vigueur pour un local "affecté
à l'habitation".
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